Si le
moustique
parvient à s'approvisionner sur nos chairs et à échapper encore et encore à notre colère dévastatrice, ce n'est pas par hasard. Il a des centaines de millions d'années d'évolution derrière lui et peut se targuer d'être particulièrement bien adapté à son travail de torture.
En effet, le pourfendeur de nos étés fait partie de la classe des Insectes. Apparus sur Terre il y a environ 400 millions d'années, au Dévonien (ère primaire), ces derniers ont toujours fait figure de vainqueurs. Leur classe regroupe plus d'un million d'espèces connues (mais on soupçonne leur nombre d'être beaucoup plus important), soit les deux tiers du monde animal. Ce sont les premiers à avoir conquis la terre ferme, bien avant l'apparition de l'homme. Au sortir des eaux, ils adoptent une stratégie audacieuse. Afin de conserver leur milieu intérieur aqueux, ils s'entourent d'une carapace imperméable, mince et résistante, la cuticule. Celle-ci est subdivisée en trois parties : la tête, le thorax et l'abdomen. En plus d'être perméable à l'eau, la cuticule laisse passer l'oxygène de l'air au travers de petites ouvertures, les stigmates, dont les prolongements se ramifient dans le corps de l'insecte, afin d'approvisionner ses organes en oxygène.
Et voici venus les Culicidés
Des insectes des temps géologiques, ce sont les plus petits qui résistent. Et pour cause, ces derniers, tout contents d'échapper à leurs ennemis, se faufilent plus rapidement. Mais assez joué. L'ère primaire touche à sa fin, il est temps qu'ils volent enfin de leurs propres ailes. Et voilà une distinction de plus : la classe des
Ptérygotes
, les insectes ailés. Invention d'autant plus utile qu'elle fonde en grande partie la classification des insectes. En effet, les entomologistes répertorient aujourd'hui les ordres et les familles des insectes selon la disposition de la nervure des ailes.
Au début du Mésozoïque (ère secondaire), les saisons s'installent et avec elles, la végétation. Dès lors, se dessinent d'innombrables espèces d'insectes volants, trop heureux de flirter avec ces belles plantes. Les Diptères représentent les insectes à deux paires d'ailes. Ils sont piqueurs ou suceurs, selon leurs spécialités. Ils apparaissent au début du tertiaire, sang chaud des oiseaux et des mammifères oblige. Un peu plus tard naissent les Nématocères, sous-ordre des Diptères. Ils sont dotés de longues antennes poilues et se démarquent des autres Diptères, comme la mouche, par la présence de petites écailles sur les nervures des ailes. Chez les Nématocères, les choses se gâtent avec la famille des Culicidés. Demandez la femme et vous aurez un parfait moustique piqueur. Cette famille compte sept genres, dont les principaux Aedes et Culex. S'ils sont plus rares en France, les Anophèles n'en sont pas moins dangereux puisqu'ils transmettent le paludisme.
Un accoutrement perfectionné
.
Voici donc arrivé, après ce long voyage, le moustique contemporain, véritable mécanique de précision. La tête, pour commencer. Elle permet de différencier les mâles des femelles, mais aussi les genres. Ses deux yeux remarquables étendus sur les faces latérales sont composés de nombreuses unités, les ommatidies. Entre les yeux, viennent se placer les antennes avec 15 articles (pièces articulées) chez le mâle et un de plus chez la femelle.
S'y ajoutent les pièces buccales, de type piqueur, formant la trompe.
Toujours dirigée vers l'avant, celle-ci contient six stylets qui permettent la perforation de la peau jusqu'à un vaisseau capillaire, l'injection de salive et le pompage du sang. Après la tête, le thorax est divisé en trois segments soudés : prothorax, mésothorax et métathorax, sur lesquels se trouve une paire de pattes. Un rapide calcul et voilà un thorax monté sur six pattes. Le mésothorax central et le métathorax portent chacun une paire d'ailes. Leur membrane transparente est renforcée par des nervures longitudinales et transversales qui délimitent les cellules.
Troisième et dernière partie : l'abdomen. Chez le moustique, il est composé de dix segments, le dernier se prolongeant par les appendices génitaux : le phallosome chez le mâle, les cerques chez leurs femelles. Ce costume élaboré a permis aux moustiques, et plus largement aux insectes, de survivre sur la Terre depuis tant d'années, n'en déplaise aux hommes.
Repas sanguin pour cause de maternité
"Dame moustique ne pique qu’une fois, puis meurt."
Ou bien, "les moustiques ne vivent que l’été." Eh bien, non.
Ces affirmations tiennent de la caricature. Que ceux qui croient tout connaître de ces insectes, ennemis notoires des nuits des
estivants, se détrompent. Il y a presque autant de modes de vie que d’espèces. En France, on en dénombre 67 dont
quelques-unes adeptes de l’Homme. Seule anecdote véridique dans un amas de croyances plus ou moins fumeuses, les femelles sont les
seules à piquer. Un privilège de la maternité…
De son côté, le mâle mène une existence plutôt tranquile durant laquelle il ne
s’accouple généralement qu’une fois. Le sperme est alors stocké dans les spermathèques de sa conjointe d’un
soir qui le gardera précieusement. Ainsi équipée, la femelle a besoin d’un apport supplémentaire en
protéines pour mener ses œufs à maturité. Elle part donc en quête d’un peu de chair fraîche afin de se
gorger de sang. En général, les vertébrés sont au cœur du menu. Mais toutes ces dames n’ont pas les
mêmes envies. Cusileta longiareolata jette son dévolu sur les oiseaux. Culex hortensis et impudicus ont
une vive préférence pour les grenouilles et les crapauds. Quant à Aedes caspius et Culex pipiens, leur
péché mignon reste l’Homme.
De la larve au moustique …
Une fois rassasiées, le mot d’ordre est "toutes aux abris !", en attendant la ponte. Mais pas question de passer l’arme à gauche après cette dernière. En moyenne, les femelles assurent, durant leur vie, deux à trois renouvellements de leur espèce, dans le cas, bien sûr, où la main d’un de leur repas préféré les aurait manquées. Pour la ponte, là encore, chacune a ses petites manies et ne donne pas les mêmes rejetons. Seul point commun, le besoin d’eau. Anopheles pond en surface des œufs isolés qui sont insubmersibles grâce à des flotteurs. Coquillettidia, Culex, Culiseta et Uranotaenia s’exécutent également à la surface de l’eau. En revanche, elles sont plus prolixes et "mettent au monde" de 50 à 200 œufs qui s’organisent en nacelles. C’est grâce à cette structure particulière que les futurs moustiques ne font pas le grand plongeon. De leur côté, les œufs d’Aedes attendront patiemment sur leur support humide que l’eau vienne les submerger pour éclore. Quels que soient le moment et le lieu, cette éclosion se passe de la même manière. Le bouton d’éclosion, véritable ouvre-boîte situé sur la tête de l’embryon, découpe la coquille pour libérer la larve.
Débute alors une phase de croissance intense. En quatre stades séparés par une mue, les larves passent de 2 à 12 millimètres. Toutes aquatiques, elles respirent en surface directement ou à l’aide d’un siphon situé à l’extrémité de l’abdomen. Coquillettidia, elle, joue l’originale. Elle élit domicile sur les racines des plantes et respire l’air contenu dans les tissus végétaux. Côté confort, aucune n’est regardante. A l’ombre d’un olivier ou en plein soleil, du bord de la mer à des altitudes élevées, chaque espèce trouve son coin de paradis du moment qu’il y a un peu d’eau. Là encore, les larves ne sont pas bégueules. Marais, fosses septiques, creux des arbres, fossés, même les pires eaux polluées ou très saumâtres ne les rebutent pas. Leur seul objectif est d’accumuler suffisamment de réserves énergétiques ; réserves dans lesquelles la nymphe viendra puiser tout ce dont elle a besoin pour l’ultime mutation.
C’est à ce stade qu’en 24 à 48 heures, les moustiques "aquatiques" deviennent terrestres. Pour les nymphes, pas question de badiner ni même de se nourrir. D’où l’importance des stocks mis de côté pendant la période larvaire. Pour respirer, exit le siphon. Place à deux trompettes situées sur le céphalo-thorax. En général, elles restent en surface mais au moindre dérangement, elles n’hésitent pas à plonger afin de trouver leur salut au fond de l’eau. Une fois équipés pour assurer leur nouvelle vie, les adultes émergent de la cuticule protectrice qui se fend longitudinalement. Gonflés d’air et sans une éclaboussure, ils déploient leurs ailes et prennent leur envol.
Et le cycle recommence...
Durant les premiers jours suivant cette renaissance, mâles et femelles s’accordent un temps d’adaptation et de repos dans un
endroit abrité. Leur premier repas se compose de nectar riche en glycogène et donc très énergétique.
Débute ensuite la vie à proprement dite du moustique adulte. Les mâles, par la vibration des ailes féminines
alléchés, vont accomplir leur unique devoir conjugal. Une fois l’accouplement réussi, ils laissent le soin aux
femelles d’assurer la survie de l’espèce. Ainsi va la vie du moustique dont la longévité varie d’une espèce
à l’autre. Certaines, comme celles qui hibernent, peuvent vivre plusieurs mois. D’autres sont la cible de prédateurs plus
ou moins efficaces. Ainsi, un chercheur a montré qu’Anopheles atroparvus, très proche des hommes, vit en moyenne
six mois en hiver mais moins de six semaines en été… Tout dépend donc de la qualité de la mise en œuvre
contre elles.
source : InfoSciences.
|