BEAUX MOTS DITS

Vues sur Helen Keller

Jacques R. Roy, j.c.q.




Au Collège Sainte-Marie, en classe de philosophie, nous n'avions ni somme de Saint-Thomas, ni livre de logique, de métaphysique ou de morale. Avec le jésuite Maurice Vignault qu'on retrouvait sur son bureau, assis sur sa chaise avez un fez rouge sur la tête, on étudiait la vie d'une sourde, muette et aveugle. Le philosophe au fez voulait nous montrer comment les sens sont les seuls voies pour nous ouvrir l'esprit et le remplir. Helen Keller, née en Alabama en 1880, était emmurée dans le cachot de son cerveau où ne lui parvenait ni lumière ni son et d'où ne sortait aucune voix ni clarté.

C'est en 1887, sept ans après sa naissance, que la vie d'Helen Keller débute. Une jeune femme de 20 ans, Annie Sullivan, commence à parler à Helen en lui dessinant des lettres dans la main et lui donnant à toucher l'objet correspondant. Elle met dans les bras d'Helen une poupée en écrivant dans la main de l'enfant les lettres D O L L. Puis un autre jour, Annie trace les lettres W A T E R dans une main d'Helen en faisant couler dans son autre main de l'eau. Ce fut comme le feu qui jaillit sous les paupières éteintes de l'enfant. Elle avait saisi. Elle comprenait... Helen toucha à la terre pour connaître le mot. Ce même jour, elle apprit 30 mots.

Grâce à l'assistance d'Annie, qui lui écrivait dans les mains toutes sortes de livres, Helen obtint en 1904 son diplôme avec grande distinction au Collège Radcliffe. Toujours avec Annie, elle se mit à écrire des livres, prononcer des conférences partout dans le monde. Elle se fit la voix des exclus et des laissés sans compte aucun. Jamais, elle ne perdit de vue les besoins des sourds, ni ceux des muets, ni ceux des aveugles. C'est à Washington en 1961 qu'Helen Keller fit sa dernière apparition publique quand elle rencontra le président Kennedy à la Maison-Blanche.

Washington, quarante ans plus tard

Dès notre arrivée à Washington en cette fin de février 2001, à l'aéroport Ronald-Reagan, j'ai vu du braille sur les murs. Peut-être ne suis-je point un observateur éveillé. Mais pour moi, c'était la première fois que je voyais dans un endroit public des messages écrits en braille pour indiquer que c'est ici les toilettes pour les femmes et là-bas pour les hommes.

En sortant du métro qui nous fait rouler depuis l'aéroport jusqu'au centre-ville, on aperçoit des jonquilles qui baillent au soleil. Dans le parc vert, des patineurs avec des patins loués, à la couleur brun-cathédrale, glissent maladroitement sur une glace qui n'est pas naturelle. Nous entrons en face, dans l'édifice des Archives nationales, pour voir une des quelques copies autorisées de la Grande charte d'Angleterre (Magna Carta) de Jean Sans Terre de 1215, puis l'original de la Déclaration d'indépendance rédigée par Thomas Jefferson au début de la guerre et adoptée le 4 juillet 1776, puis la Constitution votée le 17 juillet 1787. Puis des centaines de photos nous parlent de l'histoire du XXe siècle avec ses guerres et ses exclusions, comme celle des coloured people, et ses succès sur la terre et sur la lune.

Dimanche matin, il faut aller au Washington National Cathedral. On nous a chanté que, depuis l'observatoire de la cathédrale, seuls les gargouilles et les anges ont une meilleure vue sur la capitale américaine. Mais surtout, on pourra s'approcher d'Helen Keller. Dans cette cathédrale, on a déposé le cercueil de quelques personnes célèbres, dont celui de Woodrow Wilson qui gagna contre Théodore Roosevelt et régna comme président de 1913 à 1921. C'est lui qui accorda le droit de vote aux femmes, créa l'impôt fédéral, décréta l'élection des sénateurs au suffrage universel direct. Mais c'est dans cette cathédrale que repose, dans la pierre, le corps d'Annie Sullivan, l'institutrice et ami d'Helen Keller. Et c'est là que sommeille près d'Annie, Helen Keller. Sur son tombeau, il y a un message en braille écrit sur une plaque qui reluit de tous ses feux tant il y a de personnes qui y frottent leurs doigts pour lire ce message.

Washington s'affiche fièrement comme la capitale d'un empire, comme Rome au temps de son siècle de puissance. Et ce, grâce à son long mail capable de recevoir près d'un million de personnes lors d'un discours de Martin Luther King et qui s'allonge depuis le monument Lincoln jusqu'au Capitole et qui est bordé d'une pléthore de musées gratuits qui font voyager dans l'espace, dans l'histoire et dans les arts; et grâce aussi à ses ambassades de tous les pays de la terre, à ses monuments et ses édifices gouvernementaux, dont la bibliothèque du Congrès. Cette bibliothèque serait, selon le guide, le seul château véritable aux États-Unis.

De nombreux présidents s'y retrouvent

Il se trouve plusieurs présidents encore présents à Washington, certains dans le cimetière d'Arlington, comme Robert Taft et John F Kennedy. Et tout à côté de son frère, se trouve la tombe de Robert, qui allait devenir président quand en juin 1968 il fut assassiné à Los Angeles et dont la tombe ne comporte qu'une croix blanche. Helen Keller aurait aimé entendre la vision de Robert Kennedy quand il disait " Il est des hommes qui voient des choses et disent pourquoi. Je rêve à des choses qui n'existent point et je dis pourquoi pas ".

On peut voir d'autres présidents hors les cimetières sur les places publiques, comme George Washington au haut de son obélisque, Lincoln assis dans son temple, Thomas Jefferson debout dans le sien. Et Franklin Delano Roosevelt, élu quatre fois président de 1932 à 1944, déambule quant à lui dans un parc de verdure et de chutes d'eau le long du Fleuve Potomac. C'est F.D Roosevelt qui fit ériger un monument à Jefferson et qui fit couper tous les arbres entre la Maison-Blanche et le monument Jefferson pour le voir à son réveil tous les matins.

À la Maison-Blanche, il y avait derrière nous ce mardi matin-là un couple âgé portant canne blanche qui attendait pour visiter la résidence du président actuellement en poste. Dans le couloir, en entrant, on peut voir un immense portrait d'une dame aux cheveux blancs. C'est la mère du président actuellement en poste qui semble veiller sur le locataire des lieux. Tous les soirs, on déroule les tapis au départ du dernier visiteur et on remet en ordre les salons pour des réceptions quand les locataires habitant en haut vont descendre pour accueillir diplomates, artistes ou politiciens.

Tous les soirs de l'année à 18 heures, dans l'une des salles du Centre John F. Kennedy, à un pas de l'édifice du Watergate, on présente gratuitement un concert ou un événement artistique de grande classe. On y voit toutes sortes de personnes, de toutes les couleurs et conditions, plusieurs en fauteuil roulant, certaines s'appuyant sur une canne pour mieux se supporter ou se conduire dans le noir de leurs paupières. Il y avait dans ce concert d'artistes de l'Amérique latine ce soir-là une magie, une chimie, une présence qui faisait qu'on entendait et voyait de l'intérieur. Un peu comme Helen Keller peut-être, quand elle vivait ses discours que prononçait pour elle son amie Annie devant quelques personnes ou des milliers d'auditeurs dans 35 pays du monde, ou comme un soir à New York dans un stade de base-ball rempli à éclater.

Vivre pour ne jamais mourir

En 1961, quand Helen Keller fut reçue à la Maison Blanche, on lui demanda combien de présidents elle avait rencontrés, elle répondit l'ignorer mais se souvenir les avoir tous vus depuis Grover Cleveland. Ce dernier fut le 22e président en 1885 puis le 24e président en 1893.

Quand elle mourut, en 1968, à quelques semaines de son 88e anniversaire de naissance, le sénateur Hill de l'État d'Alabama où elle est née au siècle précédent déclara: " Helen Keller est parmi les quelques êtres sur terre à naître pour ne point jamais mourir. Son esprit va vivre tant qu'il y aura des hommes et des femmes capables de lire et de dire la légende de cette femme qui a montré au monde qu'il n'y a pas de limite au courage et à la confiance en la vie ".


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